Le travail de la main
Dinanderie | Artisanat d'art
En France, les métiers d’art rassemblent près de 38 000 entreprises. Ils emploient plus de 60 000 personnes. Ils génèrent un chiffre d’affaires annuel de 8 milliards d’euros, dont 727 millions à l’export (données de la Direction Générale des Entreprises). Tombés en désuétude pendant un temps, ils reviennent ces dernières années au cœur de toutes les attentions, et réinvestissent les centres-villes. Jonathan Soulié, dinandier d’art, fait partie des instigateurs de ce renouveau.
À Gaillac dans le Tarn, l’atelier de Jonathan Soulié laisse s’échapper un tempo bien singulier. Un coup de marteau pour chaque seconde qui passe. Un coup de force tout ce qu’il y a de plus humain, répété jusqu’à 300 000 fois pour réaliser certaines pièces, et laisser la matière s’exprimer librement. Une matière qu’il apprit à dompter auprès des plus grands : Olivier Courtot, meilleur ouvrier de France et Compagnon du devoir, et Jean-Jacques Bonnafous, dernier chaudronnier du village de Durfort où l’on travaille le cuivre depuis des siècles.
Jonathan Soulié est un “doux rêveur”. Il y a quelques années, il décide d’assouvir sa soif de créativité en s’appropriant la Dinanderie. Il s’agit d’une technique ancestrale. Elle permet de façonner des feuilles de métal par un martelage manuel. “J’ai découvert la Dinanderie à l’occasion de la restauration traditionnelle d’une vieille bâtisse du 18e siècle. J’étais parti en quête de professionnels qui utilisaient cette technique. Voir se déformer une feuille de métal pour la refermer sur elle-même m’a bluffé”.
À ce moment-là, Jonathan Soulié travaille encore dans un bureau d’étude technique spécialisé dans l’optimisation énergétique. Son métier lui procure du plaisir, et il est attaché aux valeurs humaines qu’il véhicule. Néanmoins, la découverte de la matière et l’appel du métal sont les plus forts : “C’était pour moi un devoir de trouver une solution pour sauver ce savoir-faire menacé d’extinction”.
Lumière d’enfant et lever de soleil
“J’ai toujours ressenti le besoin de chercher, et à partir d’une matière, de réussir à aller au-delà pour fabriquer un objet, un concept”. Très jeune, Jonathan Soulié s’émerveille déjà d’un rien. Il laisse son imaginaire voyager où bon lui semble. À cette époque, sa créativité s’exprime en détournant certains éléments de son environnement. “Je me souviens avoir détourné un fût en métal pour en faire un luminaire pour ma chambre”.
Les années passent quand ses sources d’inspiration se gorgent. De l’aube au crépuscule, Jonathan Soulié observe, capte, étreint et s’embrase. La nature tout autour, ainsi que le design et les automobiles des années 30 à 60, nourrissent aujourd’hui l’essentiel de ses échappées belles. Il martèle puis caresse la surface des métaux pour former ou déformer la feuille. Sous les feux des détails emmagasinés dans son esprit, les contours de la silhouette tant désirée se précisent. L’objet est là : il vit déjà.
Jonathan Soulié : artisan et artiste
Deux chemins mènent à la Dinanderie. Le premier emprunte les vallées de la tradition. À l’origine, la Dinanderie est un métier qui impose de respecter des règles précises. Tout ce qui est appris doit être reproduit. Le second chemin est quant à lui dédié à la liberté de la matière. C’est elle qui “décide” où elle souhaite aller. Ainsi, les pièces aux extrémités parfaitement taillées, rectilignes et fidèles au dessin initial, répondent à celles conçues et produites par un partage de la démarche créative avec la matière.
Cuivre, laiton, aluminium, acier… Chaque métal laisse s’exprimer toute la minéralité de la matière. “J’ai coutume de dire que si l’artisan sait toujours où il va, l’artiste pas toujours. Je me positionne entre les deux”. Comme le fait un potier avec la terre, sans machine, et à l’aide de très peu d’outils, Jonathan Soulié façonne le métal. Il transforme à sa façon l’artisanat par le design et l’innovation. Objectif : redonner son sens premier au travail de la main. “Cela me tient à cœur de mettre en avant cette spécificité. En effet, elle vient contrebalancer tout ce que l’on expérimente aujourd’hui dans notre société de consommation”.
Artisanat d’art : résurgence
Poussé hors des villes hier, l’artisanat d’art fait aujourd’hui son grand retour dans les centres urbains. En réalité, il s’agit de répondre notamment à l’intérêt de leurs nouveaux habitants pour les produits haut de gamme et de luxe. « À Toulouse par exemple, certains projets devraient voir le jour prochainement pour réintégrer des artisans au sein de locaux et d’ateliers mutualisés à des loyers raisonnables », explique Jonathan Soulié. « Le but est de proposer ces savoir-faire au plus près de la clientèle”.
Malgré tout, plus des deux tiers des artisans d’art français exercent encore dans des communes de moins de 20 000 habitants. 34,9% dans celles comptant moins de 2 000 âmes (sources : Observatoire des métiers d’art). Une réalité qui ne constitue plus forcément un frein pour le développement des métiers d’art. “Les artisans d’art n’ont plus la contrainte d’avoir leur clientèle à proximité”, d’autant plus si l’on considère l’attrait que l’artisanat d’art made in France exerce à l’étranger. “L’aura, la qualité, et l’unicité du produit artisanal d’art français sont très importantes dans les pays asiatiques et les Émirats”, confie Jonathan Soulié.
Au fil des ans, l’artisanat d’art est ainsi devenu une variable locale. Elle permet la mise en avant d’une région et d’un pays tout entier. Son ADN conjugue des valeurs qui, même si elles ne s’opposent pas toutes à celles des grandes industries, repositionnent le travail. L’objectif est de mieux comprendre l’aspect financier et technique d’un produit. Ainsi, l’émotion constitue à nouveau l’essentiel de l’objet fabriqué, qu’il plaise ou pas. La matière, enfin, permet aux différents publics de se retrouver dans l’objet et dans ce qui le constitue, au-delà des laques grimant le plastique en métal. Une minéralité, à la portée de chacun. Un bout d’un jour d’un dinandier de Gaillac dans le Tarn, qui s’incrusterait en vous.