Les contes de la pierre
Sculpture | Vallée des Saints | Bretagne
Christophe Antoine signe Kito, tout court. Il est un sculpteur autodidacte très attaché à ses racines bretonnes, dont le travail lui vaut une renommée internationale. Rencontre avec un artiste à la fois jovial et engagé, à travers ses sculptures exposées à la Vallée des Saints à Carnoët, dans les Côtes-d’Armor.
Le premier contact avec Kito est instinctif, à l’instar de son rapport au bois et à la pierre. Il s’agit de ses deux matériaux de prédilection pour tailler des histoires, des émotions et des légendes qu’il revisite pour les partager avec le plus grand nombre. En Bretagne, dans la France entière. Mais également en Suisse, aux États-Unis, au Québec… À 67 ans, il poursuit son œuvre dans son atelier de Plouezec en Bretagne, avec la même volonté de désarçonner qu’à ses débuts.
D’ailleurs, c’est l’un des sentiments qui peut animer le visiteur de la Vallée des Saints lorsqu’il tombe nez-à-nez avec l’une des statues créées de ses mains. En effet, en remontant de la chapelle Saint-Gildas, classée monument historique, et après un crochet par la motte féodale, on ne peut échapper au sourire inattendu de son Saint-Riom. Pas plus qu’à ses 4,80 mètres de bonhomie et ses 6,5 tonnes de quiétude heureuse. Dès lors, un jeu de piste s’instaure pour identifier les autres réalisations de Kito parmi celles des autres artistes sculpteurs. Et, par là même, explorer ses propres contes.
L’enfant artiste
Kito trace les contours de son art dès l’âge de cinq ans. Il taille du bois avec ses canifs pour en faire de petites statues. Sa mère conserva précieusement l’une d’entre elles. Kito se souvient : “Elle me disait toujours : “On dirait le Balzac de Rodin.” C’était un peu prétentieux. Mais c’était la vision d’une maman.” Il la perd en 1995 et matérialise sa souffrance dans la pierre. “J’étais tellement malheureux que j’ai mis tout mon mal dans un galet. J’en ai fait une sculpture que j’ai appelée : La déchirure.”
S’il lui arrive de couler ce galet en bronze, à l’instar du squelette sculpté dans une branche de figuier qu’il réalisa lors du décès de son père à ses neuf ans, Kito en conserve soigneusement les originaux. Histoire de garder ses parents près de lui. Tout comme ces moments privilégiés passés en famille. Notamment, en compagnie d’Étienne Martin. Il était l’un des plus grands sculpteurs français du XXe siècle et ami des siens. “J’ai eu cette chance de le connaître. C’était un grand Monsieur.” Siégeant à l’Académie des Beaux-arts dès 1970, il offre à Kito ses premières trousses de sculpture sur bois et pierre, à sept et douze ans.
Kito : l’art de rester soi
S’éveillant à l’art par ses rencontres et ses expériences, Kito s’est également formé lui-même tout au long de sa vie. Du Premier Prix de la Jeune Sculpture au Salon de Charroux en 1974 à sa Médaille d’Or de l’Académie des Arts, Sciences et Lettres en 2010, il accumule ainsi les reconnaissances du public et de ses pairs.
Son parcours nourrit une vision toute personnelle de la formation artistique classique : “Je déconseille aux jeunes qui veulent conserver une certaine personnalité artistique de ne pas en faire. Les gens qui rentrent là-dedans sont complètement dématérialisés, déshumanisés.”
Une estime singulière pour l’idée et la matière
La touche de Kito se distingue en premier lieu par le sentiment d’évasion qu’elle procure. D’autre part, grâce à son appréhension de l’idée. Délaissant les bouts de papier qu’il ne cessait de perdre, il peut “tout laisser tomber pour ébaucher la sculpture que j’ai vue dans ma tête. Ainsi, je sais qu’elle est là, qu’elle m’attend. Et qu’avec le temps, l’idée ne peut que se bonifier.”
Enfin, par la profondeur de son ressenti de la matière et de l’environnement. Ainsi, l’œuvre en bois qu’il crée actuellement est taillée dans un chêne abattu par une tempête. De plus, il sait choisir les pierres dont la qualité demeure invisible aux autres. Dès lors, chaque bloc a sa propre histoire. Comme celui en granit breton utilisé pour chacune de ses neuf statues confectionnées pour la Vallée des Saints.
La Vallée des Saints : “l’île de Pâques” de Carnoët
Le projet associatif de la Vallée des Saints, créé en juillet 2008, n’est pas voué à devenir un énième parc à thème. Pas plus qu’il ne cherche à se targuer de quelconques prétentions contemporaines. En réalité, il vise à rendre un hommage éternel et évolutif à la mémoire collective bretonne. Et ce, à travers des statues de saints bretons aux allures de monolithes rappelant les menhirs. De plus, il a pour but de redynamiser l’économie et le tourisme en Centre-Bretagne tout en valorisant le granit breton à l’international.
1000 : c’est le nombre de figures sculptées, issues de l’histoire légendaire de la Bretagne, que veut compter le projet dans un demi-siècle. Chaque statue est monumentale. Elle est façonnée dans un bloc de granit breton d’une hauteur comprise entre trois et cinq mètres. Ainsi, plusieurs chantiers ont eu lieu depuis le tout premier en 2009. Chacun d’entre eux dure environ trente jours, pendant lesquels les artistes tels que Kito ne ménagent pas leurs efforts pour répondre aux contraintes de temps et budgétaires.
Scènes et mécènes
Depuis la motte castrale de Saint-Gildas, les statues de pierre scrutent un horizon lointain, mais jamais au hasard. En effet, elles sont orientées vers la commune d’origine de chaque saint. Le visiteur bénéficie d’une vue panoramique exceptionnelle sur les montagnes noires, les monts d’Arrée et Roc’h Trédudon, leur point culminant. Par temps clair, sur la rade de Brest.
15000 euros avant réductions fiscales : c’est le coût de revient d’une sculpture. Pour le financer, des particuliers et des entreprises apportent leur concours régulièrement à l’association. Les fonds collectés servent également :
- D’une part, aux infrastructures du site installé sur les terrains de la ferme de Quénéquillec, acquis en 1995 via un bail de 49 ans.
- D’autre part, à la gestion des frais administratifs et de fonctionnement de l’association.
- Enfin, à la rémunération des artistes : elle intègre le coût de revient de chaque sculpture.
Dans la digne tradition des saints
À l’instar des autres Compagnons, Kito explique qu’il ne s’est pas investi dans le projet pour l’argent. “Je touche 3000 euros pour faire une sculpture de près de 5 mètres de haut en quatre semaines. C’est pour la Bretagne que je le fais.” 160 donateurs, de 30 à 3000 euros, ont contribué à la création de la Vallée. Elle a accueilli, en 2016, plus de 600000 visiteurs.
Aujourd’hui, de nouveaux projets sont à l’étude pour le site. Notamment l’aménagement d’un parking pour l’accueil des visiteurs. “J’ai même proposé à Sébastien Minguy, cofondateur et directeur de la Vallée des Saints, d’installer une montgolfière près de la motte féodale, pour créer de l’animation dans le respect de l’environnement.”
Des saints et des hommes
Inspiré du surréalisme, le style de Kito se détache lorsque l’on déambule dans la Vallée des Saints parmi les différentes représentations déjà exposées. “Ce sont nos bâtisseurs, nos racines, nos ancêtres. On les appelait des saints. Mais ils étaient avant tout des gens qui faisaient du bien autour d’eux. Des guérisseurs, des magnétiseurs… À l’époque, ils étaient moins nombreux. Et tout le monde se connaissait. Ça se savait.”
Ainsi, les légendes l’inspirent plus qu’il ne cherche à les reproduire. Ce qui donne lieu à une attraction inédite des contraires. Elle prête à sourire, à se recueillir, à s’abandonner. Fervent admirateur d’Antoine de Saint-Exupéry, Kito se réapproprie par exemple l’histoire du Petit Prince avec la statue de Saint Mérec. “Il n’existe aucune représentation de lui. La mer avait six enfants dont lui. Elle les a abandonnés dans la forêt. Mérec fut sauvé parce qu’il avait été allaité par une biche. Or, il existait déjà la statue d’un saint représenté avec une biche. J’ai donc sculpté Mérec en imaginant qu’il demandait à un renard de l’apprivoiser pour survivre dans la forêt. C’est lui qui lui montre où sont la biche et l’eau. Finalement, ils deviennent inséparables.”
Kito : les mouvements de la connaissance
Quand l’ancre-croix de Saint Riom incarne pour Kito l’ancrage du christianisme en Bretagne, les doigts tentaculaires de Saint Moë plonge dans la mer au même titre que le paysan met les mains dans la terre pour y planter ses graines. Le clin d’œil de cette statue illustre bien la ruse de Kito. Celui-ci en a glissé d’autres ailleurs, plus subtilement. Comme dans sa sculpture de Maudez, visible seulement à certains moments de la journée : “C’était un Saint, pas un ange…”, souligne Kito. Ceci étant dit, et comme il veut le rappeler à travers sa représentation de la patronne des fleurs Twina Ar Mor : “On ne voit bien qu’avec le cœur, l’essentiel est invisible pour les yeux.”
Dans ce sens, la statue de Jacut Ar Mor marque les esprits à son tour. Son mécène : Hervé Le Lous, le PDG du Groupe Urgo. Sa famille est justement originaire de Plougasnou. En outre, en grand passionné de voile, il dispose de sa maison de vacances à Saint-Jacut-de-la-Mer. L’œuvre de Kito éveille les sens. Plutôt que de représenter ce saint, fondateur du monastère de Saint-Jacut au Ve siècle, avec un livre dans la main comme c’est d’usage, le sculpteur choisit de le mettre dans le livre. “Avec ses mains, il puise dans les racines de la connaissance pour construire son abbaye page après page.” Un autre clin d’œil, un de plus, sublimé par une torsion de la pierre et un secret savamment enfoui dans les racines de la sculpture. Une invitation, aussi, à reconsidérer le devoir de mémoire. Non comme un concept, mais comme une réalité servant un imaginaire, une humanité, une liberté. Et perpétuant les contes de la pierre. Ceux pour hier tout comme ceux pour l’avenir.
Très bonne approche de la partie monumentale du travail d’Alexandre KITO qui s’avère de qualité remarquable mais il faut également souligner les petits formats sur bois et pierre et inciter le lecteur à compléter sa contemplation des oeuvres de KITO par la visite de son atelier à Plouézec ou sont exposées de magnifiques pièces sans oublier les statues érigées dans le bois le long de la voie d’accès à sa demeure.
Sans doute l’objet d’un prochain reportage ?
Bonjour et merci de votre commentaire. En effet, il s’agissait d’abord de valoriser l’œuvre de Kito à travers ses sculptures réalisées pour la Vallée des Saints. L’ampleur de son travail, incluant ses pièces en bois, mériterait bien plus qu’un seul reportage additionnel. A suivre… 🙂