L'artiste de la tempête
Peinture | Arts
Qui est qui ? Dans le jeu de l’artiste, la question en soulève beaucoup d’autres. Si elles confinent parfois à la schizophrénie, elles réussissent aussi à caresser un essentiel lié à l’existence et à son sens. Une chose est sûre : l’artiste ne peut laisser indifférent. D’abord par sa nature. Puis par celle de ses productions. Par la nécessité, enfin. Car si son identité et son œuvre n’engendrent ni le chaud, ni le froid, c’est finalement toute la pertinence du fait d’être en vie qui est remise en cause. Portrait de Max Rovira, artiste peintre installé entre Collioure et Port-Vendres, pour s’en rendre compte.
Les définitions du mot artiste sont criantes tant elles sont édifiantes : à bien des égards. À la personne “qui exerce professionnellement un des beaux-arts ou, à un niveau supérieur à celui de l’artisanat, un des arts appliqués”, répond en vieux français celle “dont le mode de vie s’écarte délibérément de celui de la bourgeoisie ; non-conformiste, marginal.” À celle ou celui “qui a le sens de la beauté”, apte à réaliser une œuvre et à manier les règles de l’art, répond ce bon à rien, ce fantaisiste.
Par conséquent, l’antagonisme de l’artiste ne semble souffrir d’aucune limite tant il nourrit et anime sa complétude. Et ce, jusque dans les descriptifs formels que toutes les académies linguistiques du monde font de l’artiste. Mais en réalité, qu’est-ce qu’un artiste ? L’est-on ou le devient-on ? D’ailleurs, peut-on le devenir si on ne l’est pas ? Peut-on l’être si on l’est malgré soi ? Quelles formes la vie d’un artiste peut-elle prendre lorsqu’il finit par assumer ce qu’il a toujours été ? Quels impacts ont son parcours, son environnement, ses relations, sur son identité, ses réalisations, son devenir à long-terme en tant qu’artiste ? En tant qu’être ? Et quelles sont ces forces alimentant la sienne ? D’où viennent-elles ?
Max Rovira : le nid
Entre Port-Vendres et Collioure, Max Rovira a installé ses ateliers et ses galeries. Exposée également à Toulouse, à Montauban, à Cognac, à Saint Paul de Vence, à Cannes et à Tokyo, son œuvre va au-delà des différentes grandes périodes picturales qui l’ont influencé. À la croisée de sa propre histoire et de l’actualité, il est depuis toujours ce voilier narguant les orages. Et si ses typhons intérieurs eurent coutume de se déchaîner par le passé, il retrouva son cap.
Destination : des îles par centaines, sur lesquelles il laisse l’intime expression de ses colères, de ses souffrances, de ses espoirs de liberté. Comme autant de traces de pas laquées que ni la mer, ni le temps, ne pourront effacer. Car Max Rovira est faiseur, conteur et seigneur de la tempête. L’artiste de la tempête.
L’empreinte
Celle de Max Rovira est d’abord temporelle. Sa ligne débute dans ses souvenirs de vacances avec ses parents et ses deux frères, dans les Pyrénées et dans les Alpes. En fait, à des centaines de kilomètres de Port-de-Bouc dans les Bouches-du-Rhône, une petite commune coincée entre Fos-sur-Mer et Martigues. Les bêtises, le camping, le régal de cette jeunesse insouciante tutoient d’autres moments à Laboule, en Ardèche, dans la maison de ses grands-parents.
C’est dans cette bâtisse de village, en haut de l’escalier en bois, que se joue le destin de Max Rovira. Dans cette chambre sans lit, un petit tableau est accroché au mur. Il représente un trois-mâts en pleine tempête. Le gamin de quatre ans est comme hypnotisé : “J’entendais le mer. Pour moi, c’était comme si une fenêtre s’ouvrait. Je me sentais obligé de mettre la tête dedans pour regarder ce qu’y s’y passait. Sans trop comprendre pourquoi.” Cette fascination se réitère à chaque nouvelle venue. Le gosse grandit : elle demeure inexplicable. Encore aujourd’hui.
La ligne se déroule
La touche créative se construit. Une première mosaïque en forme de poisson, réalisée à partir de coquilles d’œuf brisées en primaire à l’occasion de la fête des mères, permet à Max Rovira de remporter sa première distinction. Une reconnaissance reconduite l’année suivante avec une seconde en forme de caniche. Matériaux, textures, déformations : l’enfant marque la créativité de l’homme pour toujours. L’empreinte du temps forme celle artistique. Elle évolue à travers l’exploration des courants, des souvenirs et de l’âme humaine.
Max Rovira : transmission multifacette
C’est auprès de son oncle Michel que la force d’attraction de la peinture s’accentue. Il parle anglais, ce qui lui vaut le surnom de Mick. Mick est céramiste et réalise de très beaux vases. Il est également peintre. “J’étais tout petit”, explique Max Rovira. “Je le regardais dessiner. C’est peut-être ce qui m’a fait devenir artiste peintre plus tard.” Michel est le seul créatif de cette très grande famille. Il avait même fait les Beaux-Arts. Il fait naître une autre réalité dans l’esprit de son jeune neveu : la possibilité de pouvoir vivre de son art.
En parallèle, il fait écho au ressenti profond de Max Rovira éprouvé dès l’enfance. “Je n’avais pas envie d’être comme les autres.” Malgré ses bons résultats scolaires, il commence à travailler avant même son entrée au collège. Il gagne quatre sous en vendant des fleurs sur les marchés, puis plus tard, en gardant des boutiques et en vendant des compresseurs. Il finit par se former à la soudure : il y excelle mais il est malheureux. “De là, on commence à mal tourner, à rencontrer des gens qu’on ne devrait pas connaître.”
La transmission : une simple histoire de famille et de sang ? Un éveil, une sensibilisation au contact de gens et d’événements inconnus ? Ou tout cela à la fois ? Rachel et Julie sont les deux filles de Max Rovira. Quand la première géra sa galerie pendant plusieurs années, l’autre devint peintre à son tour, suivant le style de son père pour affirmer le sien sous le nom de Pitu.
Ce dernier eut lui-même ses propres maîtres, à l’instar de Picasso, le “pape” de la peinture, Vincent van Gogh, Salvador Dali et Jackson Pollock. Mais aussi les statues de l’île de Pâques, leur mystère. Woodstock, l’accordéon, les fantômes planqués dans les rideaux. L’argent, les machines à sous, la joie, la violence, la taule, les gens cachés dans une valise ou une bouteille d’alcool. Le repentir.
L’Histoire, des histoires, son histoire
Sur toile, sur béton en résine ou sur bois stratifié, Max Rovira parcourt les routes de sa propre intrigue. Celle-ci trouve son dénouement dans le sens inscrit en filigrane dans les événements qu’il vécut. Des situations du passé connectées entre elles depuis toujours, plus que jamais à ce jour. Elles invitent le plaisir et la reconnaissance. Elles évoquent les plus beaux scénarios jamais écrits. Et dans l’infinie souffrance qu’elles traduisent, les soupiraux donnent sur le ciel ainsi que sur la liberté.
Une ombre plane sur la cité phocéenne. Elle fut celle de Max Rovira pendant plusieurs années. Celle aussi de ses larcins et de ses turpitudes. “Ce n’était pas un monde fait pour moi. Je m’en suis rendu compte très tard. Il faut être méchant pour être là-dedans. J’étais trop gentil.” Dans les rues, sa danse avec les loups lui valut les barreaux à deux reprises. Les années filaient. Les regrets construisaient déjà leur mur. “On perd des années de notre vie : pour rien.” Pour rien ? Pas tout à fait…
La peinture ne l’avait jamais quitté
Elle refit surface dans sa cellule, sur des morceaux de carton comme autant de fenêtres donnant sur le monde extérieur et sur son monde à lui. Des productions synonymes d’évasion sur lesquelles roulaient les chariots des surveillants pénitentiaires. Elles lui permirent de sortir plus tôt puis de donner une nouvelle trajectoire à sa vie.
Désormais, à travers les têtes sans visage de ses anciens compagnons prisonniers, celles incrustées dans les ongles du fumeur, celles éclaboussées de sang sur la Promenade des Anglais, celles des anges voués à leur éternité, Max Rovira peint l’Histoire par la sienne. Un devoir de mémoire pour lui, pour tous. Pour chacun d’entre nous.
Max Rovira : l’amour de l’artiste
Quelle autre plus belle preuve d’amour qu’un tableau qui affecte profondément celle ou celui que nous sommes ? L’artiste essore nos tripes comme il le ferait avec un linge. Il provoque une respiration nouvelle, une interrogation sans fin. Il nous révèle à nous-même grâce à son œil intérieur. Quelle autre plus belle preuve d’amour que de pouvoir s’élever grâce à une œuvre d’art ?
L’artiste, dont la plus grande colère et la première souffrance sont de ne pas être trop aimé. Cet équilibriste éternel marchant sur le fil du temps pour se retrouver, se reconnaître et s’accepter, tel qu’il l’était déjà à l’âge de quatre ans. L’artiste, tourné constamment vers l’autre, ses plus fidèles amis et ses pires ennemis, en premier lieu lui-même. Témoin de son époque, de celles qu’il aurait voulu connaître. Max Rovira, un regard mystique et amoureux, au détour d’une fraternité louant la Sanch.
“Chacun a quelque chose de caché, de puissant. Il faut réussir à le sortir. C’est le plus dur à faire. Mais quand on le sort, on en fait quelque chose de bien. C’est la nature, la force que l’on a justement à l’intérieur de soi. Elle se met sur la toile, dans la chanson, dans la sculpture… Et là, on fait quelque chose pas comme les autres. Il y a quelque chose en plus. Parce qu’il y a la souffrance qui sort. Et on le fait avec envie, avec une grande passion surtout. Cela reste dans la mémoire des gens qui ont moins souffert. Voilà comment je ressens les grands artistes.”