Peaux véritables et ronds-de-cuir
Maroquinerie | Artisanat
Il cite tour à tour les plus grandes maisons françaises de haute couture et les X-Men. Et pour cause : Vincent Garson s’engage tout autant pour l’excellence que pour la diversité du savoir-faire artisanal hexagonal. Depuis bientôt trois ans, il conçoit et réalise ses propres pièces de maroquinerie sous son seul nom. Ainsi, Vincent Garson est aujourd’hui une marque. Mieux : une réinterprétation des codes du luxe qui repositionne humblement la créativité et la technicité de l’homme au cœur de l’expérience produit et de l’expérience client.
“Je n’ai besoin de personne en Harley Davidson”, chantait BB sur sa bécane. “Je n’ai besoin de rien d’autre que de mon sac Vincent Garson”, pourrait enchaîner celui osant étreindre la rage. Celle de son créateur, un produit de la Chambre syndicale de la Haute Couture de Paris, formé au stylisme et au modélisme entre 1993 et 1996. C’était hier.
L’enfant préparait ses tenues du lendemain en assemblant ses silhouettes sur le sol de sa chambre. Il écoutait du Prince en contemplant du Saint-Laurent. Et il rêvait de devenir archéologue ou clown. La faute sans doute au strass et aux paillettes des costumes façonnés par la maison Vicaire, entre autres. Instinctivement, l’adoration pour le vêtement se mua en une quête d’équilibre absolu. Entre art, réflexion et fascination.
Vincent Garson, ce sont aujourd’hui des dizaines de pièces dédiées au mouvement et à la transformation. Des sacs, des accessoires et des bijoux pour l’homme, qui savent faire parler d’eux dans les magazines. Autant d’indices quant aux perspectives profondes ayant guidé le projet, très personnel, de Vincent Garson. Celui-ci conjugue le travail de matières nobles aux temps de savoir-faire made in France.
Transversalité subjective
De sa formation initiale, Vincent Garson conserve la rigueur. D’une part, celle attachée au processus de création, qui permet d’accéder à ce que l’on désire. “La transformation doit passer par des règles. Moi qui était vaporeux et émotionnel dans mes pensées, cela m’a obligé à aller contre ma nature.” D’autre part, celle qui permet d’échanger avec l’artisan, qui réussira à sublimer l’idée originelle.
Christian Lacroix, Paco Rabanne, Balmain : les références de Vincent Garson dans la haute couture sont plurielles. Il crée par la suite pour le cinéma, la musique, la publicité, notamment chez Havas Productions. La transversalité du vocabulaire, du vêtement et du signifiant est “tout ce qu’on est sur soi.” Pour se parer et pour se cacher. Le créateur français laisse libre cours à sa réflexion et repousse les frontières.
Son objectif est double. En premier lieu, il s’agit de se projeter dans un vision. “Celle d’un homme, d’une femme, d’une journée, pour un scénario. Cela va au-delà du simple fait de créer un produit.” En parallèle, il est question d’être dans une subjectivité apte à s’approprier complètement le contexte, les relations, les déplacements, les sentiments et la psychologie de l’être. Pour finalement le refléter par le vêtement, et ce, tant pour le rôle principal d’un film que pour celui d’une vie.
Vincent Garson : entre deux mondes
Les collections de Vincent Garson interrogent le luxe au-delà de ses qualités intemporelles, transmissibles et d’excellence. Elles visent à faire voler ses dogmes en éclats. “J’ai l’impression que les enjeux marketing des grands groupes sont devenus tellement forts qu’il existe désormais un lissage de la proposition créative”, explique-t-il. “Cette course-poursuite à la création de matières intelligentes participe à l’hégémonie d’un système de marché qui semble avoir de moins en moins besoin de talents à l’instar de Martin Margiela ou de Thierry Mugler.”
Inception, Metamorphosis, Dune, Brook, So-Use : les doux noms donnés par Vincent Garson à ses créations sont emblématiques de son approche singulière. Ils évoquent entre autres le temps consacré à la sélection de chaque prototypiste “en fonction des modèles que je souhaite concevoir, de leur structure, de leur personnalité.” Mais aussi celui destiné à bâtir un relationnel durable avec des artisans et des ateliers français reconnus. De Limoges à Paris en passant par Saint-Maur-des-Fossés.
Au même moment, et en réponse à la nouvelle quête de sens et de valeur du consommateur, Vincent Garson précise : “Je souhaite que chaque client puisse se dire qu’il s’offre une pièce qui a été réfléchie. Qu’il acquiert un 48 heures ou un sac nomade fait par la main, non loin de chez lui, par des artisans qu’il peut lui-même rencontrer si le cœur lui en dit. Pour simplement échanger, ou se faire fabriquer un article qui n’existe pas encore et qui lui corresponde complètement.”
Don Quichotte is back
150 milliards d’euros : c’est ce que représente la mode française en chiffre d’affaires selon l’étude de l’Institut Français de la Mode, soit 2,7% du PIB français. La maroquinerie et les chaussures occupent la 3ème place avec 22 milliards d’euros générés, derrière les textiles et vêtements (67 milliards) et les parfums/cosmétiques (44 milliards).
Autant dire que l’état des lieux fut simple à dresser pour Vincent Garson au moment du lancement de sa première collection de maroquinerie en 2016. “Il y avait un côté Don Quichotte dans ma démarche”, s’amuse-t-il. Pourtant, malgré les rares places restant à prendre, le créateur français demeure confiant, encore aujourd’hui. “À terme, l’émergence est toujours possible avec un bon produit et une vraie histoire.”
La raison d’un tel optimisme ? Sa raison d’être. “Je ne vois pas ce que j’aurais pu faire d’autre dans ma vie. Par conséquent, ce n’est même pas un choix”, avoue-t-il. “C’est une dynamique, un destin. Je m’attèle à la tâche. Et plus j’apprends, plus mon métier me passionne, tout autant d’ailleurs que les artisans que je rencontre et avec lesquels je collabore. C’est un mélange d’humanité et de savoir-faire. Aussi, même si les gros seront toujours plus gros demain, le plus essentiel est de respecter ses créations, son travail, ses valeurs. Sa façon de voir le monde et de le faire.”
Vincent Garson : créer et (re)connecter les émotions
À l’instar de la “déclaration d’amour” de Louis Vuitton à la marque américaine de streetwear Supreme en 2017, ayant déchaîné (pour une très courte durée) la folie consumériste des fashionistas, le monde du luxe dévoile certains de ses profonds dérèglements émotionnels. Ils éloignent une partie de ses acteurs de l’essence même de la création, pour des produits qui relèvent très souvent de la communication par l’objet.
“J’ai l’impression qu’on perd cette poésie, cette corporalité, cette proposition, cette prise de risque qui ont fait les grandes heures de la haute couture”, confie Vincent Garson. “En parallèle de gens comme Viktor & Rolf et Iris van Herpen qui continuent à suivre un véritable chemin, on laisse le contemporain dans cette immédiateté multiniveau. Et les mastodontes rééduquer le goût et le besoin des gens.”
Sans tabou ni limite, Vincent Garson explore toutes ces nuances qui composent sa créativité et qui nourrissent son engagement. C’est pourquoi il poursuit le développement de ses connaissances du maillage artisanal français, tout comme celui de points de vente inattendus dépassant les conceptions usuelles du retail. Le but ? “Offrir une expérience produit qui soit intimement liée aux réalités et à l’expérience de chaque client. Pour avoir une émotion avec les gens.”