Un état d’esprit, une raison d’être

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L’intelligence collective offre l’opportunité de réinterpréter profondément la façon de mener les projets en entreprise. Axée sur des règles fondamentales clés, elle nécessite d’être bien appréhendée par chaque individu au cœur de cette dernière. Si tant est qu’il souhaite l’adopter. Elle est tout à la fois une quête de sens, de plaisir et de résultats.

L’une des meilleures définitions de ce qu’est l’intelligence collective nous est offerte par le philosophe et enseignant-chercheur français Pierre Lévy. Selon ses termes, elle est “une intelligence partout distribuée, sans cesse valorisée, coordonnée en temps réel, qui aboutit à une mobilisation effective des compétences.” La finalité de cette caractérisation singulière est double. D’une part, elle considère l’humain dans toutes ses dimensions : économique, sociologique, culturelle, relationnelle, digitale, hiérarchique et philosophique. D’autre part, elle souligne déjà ce à quoi l’intelligence collective est censée apporter de nouvelles réponses.

Ceci étant dit, l’intelligence collective dépasse aujourd’hui le seul concept. Ainsi, pour Céline François, fondatrice et directrice conseil de Welcome On Web à Toulouse, elle est avant tout un état d’esprit utilisé pour favoriser la créativité et trouver des solutions à des problématiques complexes.” Comment initier cet état d’esprit chez l’individu pour qu’il se l’accapare et le diffuse autour de lui ? Quels sont les leviers permettant de développer durablement l’intelligence collective au sein d’une entreprise ? Enfin, l’intelligence collective est-elle une fin en soi ? Ou participe-t-elle plutôt à la fondation de nouveaux modèles organisationnels, à l’instar de Holacracy et des OKRs (Objective & Key Results) ?

Intelligence collective : tout part de l’individu

Personne ne sait tout. C’est pourquoi l’intelligence de groupe s’avère supérieure à la somme pure et simple d’intelligences isolées. Ce constat traduit plusieurs réalités connectées en premier lieu à l’individu, et relatives à sa :

  • Vision parcellaire de son environnement.
  • Perspective restreinte des écosystèmes existants au-delà du sien.
  • Méconnaissance de la richesse de son savoir-faire particulier.
  • Difficulté à imaginer et à prendre part de façon agile à l’émergence de règles innovantes défiant les cadres établis et/ou uniformes.
  • Communication qui, malgré l’expansion du cyberespace et la multiplication des outils interactifs, reste cloisonnée au détriment d’une véritable ouverture et d’une transversalité permanente.

En parallèle, ces réalités révèlent les stigmates d’un modèle hiérarchique pyramidal ayant la peau dure. En général, l’intelligence collective ne s’y exprime que faiblement. Autrement dit, en périphérie des axes de développement essentiels de l’entreprise. Habitudes managériales ancrées, craintes de consensus mous, technologies déficientes tout autant que l’accès à ces dernières… Les raisons expliquant cette situation sont multiples. Pourtant, l’intelligence collective permet tout autant de “casser les silos que de mobiliser efficacement les équipes au même moment, au sein d’une même interface physique et/ou virtuelle dans l’optique de réaliser un projet commun”, souligne Céline François.

L’intelligence collective ne se décrète pas : elle se vit

“L’intelligence collective n’est pas destinée à se substituer complètement à un mode managérial”, explique Céline François. “En fait, elle vient enrichir des pratiques pré-existantes, favoriser l’innovation et créer des synergies nouvelles. Tout en réinventant et/ou en brisant certains codes”. Pour ce faire, il est important de se référer à des règles élémentaires, mais incontournables, à l’instar de celles illustrées par la facilitatrice visuelle Hélène Pouille :

  • Écouter avec attention.
  • Parler avec intention.
  • Être bienveillant.
  • Se faire confiance.
  • Respecter le cadre.

L’intelligence collective s’apprend à travers des ateliers dédiés coordonnés par des initiateurs et des facilitateurs tels que Céline François, ainsi que par l’acquisition de la maîtrise d’outils spécifiques. Si tant est, bien entendu, que l’individu le veuille, qu’il soit chef d’entreprise ou collaborateur. Dans ce sens, l’intelligence collective est inspirationnelle. Elle est aussi une expérience à part entière. Et plus les opportunités de la vivre se multiplient, plus les individus y participent et la recommandent à d’autres.

Quels enjeux pour l’individu, pour l’entreprise et pour chaque projet ?

Notre monde ultraconnecté permet à des savoir-faire diversifiés d’interagir instantanément d’un point du globe à un autre. Techniques, idées, réglementations, cotations, documentations commerciales, médias, accords… La data s’échange en un temps record pour initier les stratégies d’entreprise, les alimenter, les parfaire, les pérenniser. Elle constitue un challenge, un conquête, tout autant qu’elle peut devenir un atout majeur pour toute organisation sur sa concurrence. Mais qu’en est-il de son usage à bon escient ? Quid de la coordination de toutes ces données pour réinventer les modèles et la manière de concrétiser des projets d’entreprise précurseurs ?

Si l’intelligence collective suscite bon nombre de déceptions, peut-être qu’un début d’explication se trouve dans la manière d’en concevoir son processus et ses bénéfices réels. Dans la pratique, on lui reproche souvent le fait qu’une décision ne soit pas prise. Par exemple, à la suite d’une séance d’idéation. Néanmoins, on omet que “dans l’intelligence collective et la facilitation, il existe également des méthodes de prise de décision”, rappelle Céline François. Ainsi, l’intelligence collective n’a rien à voir avec l’action de décider en tant que telle, mais avec celle de réfléchir, de collaborer, d’innover et de concevoir. Et ce, même si elle contribue, au bout du compte, à l’émergence de la décision.

Intelligence collective : une fin en soi ?

En définitive, si l’on considère l’intelligence collective comme un état d’esprit pouvant s’intégrer à des modèles organisationnels pré-établis, grâce à la mise en place d’expérimentations constructives et fédératrices, l’objectif est de la projeter encore plus loin telle que sa nature le commande. Dès lors, il ne s’agit plus de se cramponner à ses inconvénients avancés dans certaines structures, relatifs notamment à la :

  • Dilution des responsabilités et des autorités des acteurs en présence.
  • Difficulté à hiérarchiser et à prioriser, débouchant sur des temps de discussion allongés, des résultats aléatoires. Et donc, un coût élevé.
  • Entrave à la dynamique des équipes et à une vision à long terme.

Il s’agirait plutôt d’imaginer de quelle manière elle pourrait animer des modèles organisationnels différents. Des modèles qui permettraient non seulement, comme le précise Céline François, « une conjugaison des biais reliés au métier propre de chaque individu ». Qui plus est, qui l’encourageraient à se responsabiliser pleinement, dans le cadre de buts à atteindre qu’il se serait lui-même fixés pour la bonne réalisation du projet collectif. Mais aussi et avant tout, pour sa complète réalisation.

Quelle raison d’être ?

Car c’est bien sur ce point précis que le bât blesse assez souvent. Et ce, que l’on soit membre du staff, manager, directeur d’un département ou patron. Qui suis-je ? Quelle est ma valeur ajoutée ? L’identité de mon entreprise ? Sa mission ? Autant de questions qui nécessitent bien plus que de réitérer, à la lettre, les mêmes modèles managériaux traditionnels (Top), ou de se ranger derrière les décisions managériales (Down). De fait, l’intelligence collective instille une quête de sens à chaque échelon de toute organisation. De telle sorte à favoriser :

  • Les remises en question régulières.
  • Une réinterprétation des interactions.

Dans cette optique, l’intelligence collective façonne Holacracy, un système transparent ayant pour ambition de remplacer le modèle d’organisation classique. D’une part, en embarquant toute l’entreprise à travers l’implication sans faille de son patron dans l’adoption de ces interactions réinterprétées. D’autre part, en déployant une structure de pouvoir et une organisation durable. Les collaborateurs y prennent en charge des rôles spécifiques pour agir et progresser ensemble. Il en va de même pour les OKRs, une autre méthode créée initialement par Intel pour challenger les idées. Là aussi, le dirigeant se positionne clairement quant à la raison d’être de l’entreprise et sa mission. Celle-ci est axée sur des objectifs qualitatifs. Et ce, pour permettre à chaque collaborateur de s’approprier les siens.

Merci pour cet article Florian !